La réforme de l' Inquisition

 

Légendes sur les enfants d'Avila

 
L'église San Vicente d'Avila est célèbre pour son architecture et sa beauté.
Parmi ses nombreuses sculptures, on peut y voir l'histoire de 2 légendes :

La première concerne le martyr et les tortures infligées par des soldats
romains à des dizaines d'enfants chrétiens (faits rapportés du IVè siècle !)

La seconde légende concerne un vieux juif qui voulant abuser et violenter
un enfant chrétien se trouva soudain menacé par un grand serpent. Le juif
aurait été si surpris du prodige qu'il se convertit au christianisme et qu'il
finança la construction d'une église catholique pour se faire pardonner...

Si la première légende essaie de justifier les méthodes de l'Inquisition contre
les méchants incroyants, la seconde qui montre les juifs comme des êtres
pervers et fourbes  s'est hélas souvent répétée en Europe (avec différentes
variantes) pour justifier les cruautés que les familles juives durent subir !

 

Les conditions de vie des juifs étaient normales sous les règnes des califes maures et des premiers rois de Castille et d'Aragon. Saint Ferdinand III ayant repris Séville aux Arabes, leur donna tout un quartier de la ville. Très solidaires entre eux, et particulièrement doués pour les affaires financières, les juifs se virent très rapidement jalousés pour leur réussite par les vieux chrétiens.

Même si une grande vague antisémite avait enflammé l'Allemagne lors des premières croisades, le climat social avait très vite dégénéré lorsque sans fournir de preuve on les accusa d'avoir introduit vers 1348 la peste en Europe !

En Espagne, les procès ne manquèrent pas, on les accusa d'acheter des hosties consacrées pour les transpercer d'aiguilles, d'immoler des petits enfants le vendredi saint et même d'empoisonner des puits d'eau potable, même si jamais la moindre preuve n'a pu être fournie pour étayer ces accusations, sorties de l'imagination populaire.

Vers 1390 les Cortès prirent des mesures contre eux qui se traduisirent par de nombreux massacres dans toutes les communautés des Espagnes. Seuls furent épargnés ceux qui se convertirent en demandant le baptême. On les appela des "conversos ou anciens juifs convertis au christianisme. "

Ironie du sort ce fut précisément un converso : Pablo de Santa Maria qui lors du Concile de Zamora en 1413 obligea les juifs à porter un cercle rouge qui leur interdisait l'accès à de nombreux métiers honorifiques, excepté provisoirement ceux liés aux activités bancaires, (malgré que tous désiraient en premier lieu leur voler leurs richesses et leurs patrimoines).

Quant aux conversos beaucoup firent semblant d'être devenus de bons chrétiens mais continuèrent en cachette à observer leurs lois rituelles et de faire leurs prières en famille. Certains s'élevèrent et accédèrent aux plus hautes charges de l'Eglise, en devenant prieur évêque et même cardinal ! D'autres décrochèrent de hautes fonctions à la cour royale. Don Abraham Seneor, grand rabbin de Castille était lors de la prise de pouvoir d'Isabelle, ministre des finances et Isaac Abrabanel était le responsable de la collecte des impôts ! Même le terrible Torquemada avait du sang juif dans celui de ses ancêtres !

C'est donc un dominicain, le Père Ojeda, prieur du Couvent de Saint Paul et disciple de Torquemada, qui insista auprès de la reine pour enlever aux juifs le droit d'avoir leur propre Haute Cour de Justice. Mais le point le plus important qui incita le couple royal à demander au Pape la réforme d'une inquisition plus sévère, fut surtout l'intérêt qu'offrait la confiscation des biens et de la richesse des juifs, puis celle des maures au profit de la couronne royale...

L'inquisition avait été créée par INNOCENT III en 1209 lors de la croisade contre les Cathares, elle existait également en Espagne mais ses interventions étaient rares et les peines prononcées trop légères ! Le pardon était accordé trop facilement.

De son côté le cardinal de Cadix était jaloux de voir que les nouveaux conversos de la religion chrétienne pouvaient maintenant entrer dans les plus grandes familles aristocratiques tout en continuant de garder un esprit juif rigoureux.

Isabelle demanda à Mendoza d'utiliser une méthode douce, mais Thomas de Torquemada persuada la reine de demander secrètement au Pape en 1478 une Inquisition plus efficace, avec une autorité suprême.

Même si Sixte IV ne portait pas en son coeur le couple royal, il leur accorda au 1er Novembre : la terrible bulle qui les autorisait à réformer l'ancien Saint Office de l'Inquisition en lui accordant désormais des pouvoirs très étendus et sans appel.

En Avril 1480 les Cortès (Grands d'Espagne) tinrent leur grande assemblée à Tolède et au cours de cette session votèrent l'obligation à tous les juifs d'habiter dans des "ghettos" et ils rendirent également obligatoire le port du "cercle rouge" cousu sur l'épaule de tous les juifs non convertis, inventé en 1413. Toutes activités commerciales et médicales avec les vieux chrétiens leurs furent interdites y compris les activités bancaires.

Après deux ans d'hésitations, circula dans le pays un pamphlet qui émettait des doutes sur l'autorité de la reine à pouvoir gouverner ses sujets ! Comme dit le proverbe : pour connaître l'auteur d'un crime, il faut chercher celui à qui il profite le plus ! Torquemada n'eut aucune peine à convaincre la reine de mettre en application immédiate cet instrument qui devait faire souffrir les corps, pour purifier les âmes par le feu des bûchers ! Pour ceux qui ne croient pas en la destinée des hommes : Fraz Thomas de Torquemada vient de Torear (verbe = combattre) et quemada se traduit par " brûlé " soit combattre par le feu ... nom prédestiné puisqu'il portait ce nom alors qu'il n'était encore qu'un simple moine !

En Automne 1480 la bulle de Sixte IV fut publiée et à partir de ce jour le bûcher ne s'arrêta plus en Espagne jusqu'à l'arrivée de Napoléon (Murat 1808). Pour éviter que les richesses réquisitionnées par la Haute Cour ne profitent au Pape, la reine Isabelle se choisit elle-même les deux grands Maîtres qui se partagèrent les diocèses :

"Le Cardinal de Mendoza et Fraz de Torquemada - dominicain" Torquemada était le neveu du Cardinal Pedro Fernandez de Torquemada

Si Mendoza était reconnu pour ses qualités de justice, il s'avéra très vite que Mendoza était un illuminé très dangereux prêt à tout sacrifier pour purifier la Terre de ses péchés !

Sous le contrôle des dominicains des enquêtes et des arrestations furent menées dans les grandes villes. Bientôt un vent de panique souffla sur toute la Castille et les conversos allèrent se réfugier, moyennant finances, chez les grands seigneurs d'Espagne.

Mais l'inquisition ayant menacé les grands d'excommunication, ils rendirent rapidement leurs protégés que l'on enferma à l'écart dans des cellules de couvents désaffectés en attendant leur condamnation.

Saint Dominique avait conçu le bûcher comme un châtiment pour les hérétiques qui refusaient la foi de l'Eglise catholique, Torquemada y voyait la purification par les flammes et le sauvetage des âmes plongées dans le ciel flamboyant de l'amour et de la clarté divine, malgré le refus obstiné des intéressés... ils seront sauvés malgré eux !

Les activités de l'Inquisition espagnole

Un converso du nom de Don Diego de Susan fut le premier instigateur d'un complot visant à se soulever contre les nouveaux inquisiteurs. Dénoncé par le petit-ami de la fille de Susan qui en voulant visiter sa belle, avait assisté par hasard à une réunion, fut épouvanté de ce qu'il venait d'entendre. Il dénonça le complot aux inquisiteurs.

Don Diego et ses amis furent accusés d'hérésie et d'avoir abandonné leur foi. Vêtus d'un sac jaune, orné de figures démoniaques, avec une corde descendant du cou aux poignets et tenant dans les mains un cierge éteint, il fut emmené en procession dans les rues de la ville précédée d'un grand crucifix voilé et escortée d'un groupe de moines qui chantait des psaumes. Arrivés pieds nus à l'Eglise, les condamnés durent entendre la messe et le sermon une dernière fois, avant d'être abandonnés au bras séculier (le pouvoir civil) qui avait obligation de confirmer la condamnation dans un délai de cinq jours (sous peine d'être lui-même excommunié !).

Tous les conspirateurs furent "brûlés vifs " le 4 février 1481 devant la cathédrale à la grande satisfaction du Provincial franciscain Obeja qui voulut assister en personne à l'exécution des hérétiques.

Peu de temps après cette exécution une nouvelle épidémie de peste ravagea l'Espagne en emportant le sinistre Obeja. La foule n'eut pas longtemps le loisir de se réjouir, car les milices du Saint-Office redoublèrent d'activité.

Le cardinal Mendoza persuada la reine d'accorder un édit instituant un délai d'un mois de sursis aux suspects pour avouer leurs fautes et se convertir pour échapper à la mort.

Vingt mille conversos accusèrent leurs fautes et demandèrent leur grâce. Mais après avoir recueilli les aveux spontanés, les tribunaux exigèrent des prisonniers la dénonciation des autres conversos, mauvais chrétiens qu'ils connaissaient !

D'après certaines chroniques d'époque : on aurait ainsi brûlé plus de cinq mille conversos infidèles et plus de dix mille auraient fait pénitence et malgré cela, auraient vu leurs biens confisqués.

Il faut ajouter que l'inquisition disposait dans chaque grande ville de chambres de torture et de bourreaux spécialement recrutés pour leurs capacités dans l'art de faire souffrir. Riquewihr en Alsace à entièrement restauré une de ces fameuses chambres où rien que la vue des appareils donne froid dans le dos au visiteur : pinces coupantes, colliers, extenseurs de membres, tables équipées d'étaux de serrage, chaînes suspendues au plafond, chevalets, entonnoirs d'eau salée ... Le chef inquisiteur n'avait que l'embarras du choix pour obtenir les aveux attendus, sinon les bourreaux pouvaient leur arracher : membres, ongles, dents, langues et bien d'autres organes...

Ces tortures s'appliquaient également aux femmes dénoncées pour sorcellerie, commerce avec le diable, voleurs de grands chemins. Même un simple petit larcin ou manque de respect vis à vis d'une autorité pouvait coûter au prévenu 10 à 20 ans de galères... Sous la torture rares étaient les suppliciés qui n'avouaient rien ou ne promettaient pas n'importe quoi, en dénonçant n'importe qui, pourvu que les supplices s'arrêtent.

On arrêtait les dénoncés qui à leur tour devenaient des délateurs.

Combien de martyrs et en particulier d'enfants juifs ont été ainsi lentement sacrifiés et combien de femmes ont subit les pires outrages avant qu'on ne jette leurs cadavres mutilés dans des malles dont le contenu était jeté sur les bûchers comme sur une décharge publique pour y être incinérés avec les ceux qui allaient être brûlés-vifs.

En une seule année trois cent habitants de Séville furent immolés. Le pape écrivit à Isabelle pour lui demander de gracier les suspects qui jureraient de vivre en bon chrétien soumis à la sainte Eglise.

Cette mesure ne fut jamais appliquée. Sixte IV avait également nommé l'Archevêque de Séville au poste de juge suprême de la Cour d'appel représentant le Saint-Siège, mais l'Archevêque mourut. Mendoza fut relevé de ses fonctions et Thomas de Torquemada devint le SEUL Maître du Saint-Office pour toute l'Espagne !

Ce dangereux fou-mystique avait désormais champ-libre pour exercer sur le peuple ses talents de juge parodiste, doublés d'un maniaque pervers assoiffé de sang et de sadisme. Il attaqua ouvertement la bigamie (autorisée chez les maures), la sodomie, l'avortement, la sorcellerie, et tous ceux soupçonnés d'être des suppôts de Satan et d'entretenir des relations avec lui. Le pays fut rempli de tribunaux et de bûchers, mais les règlements de l'Inquisition lui semblèrent encore trop favorables aux condamnés, il les révisa pour les rendre encore plus sévères.

Déjà, il s'intéressait moins aux juifs qu'aux conversos. Il les soumit à la torture jusqu'à ce qu'ils avouent leurs infidélités en l'Eglise, la mère miséricordieuse, avant d'être parqués dans des pénitenciers qui furent les précurseurs des camps de concentration utilisés par les nazis lors de la seconde guerre mondiale.

Il fit également brûler par centaines de mille (comme Hitler), des Ancien-Testament, et des livres écrits par des juifs qu'il considérait comme les guides de la vie satanique.

Quinze jours avant les exécutions publiques, il faisait afficher en tous lieux ses autodafés (actes de jugements du Saint-Office, qui donnaient la liste des prochaines personnes à brûler vifs !)

Beaucoup d'exécutions se tinrent habituellement lors des grandes " fêtes populaires ou lors de la visite du couple royal " aux grandes villes. On commençait d'abord par une corrida où le taureau était joyeusement mis à mort et castré dans l'arène, puis tout le peuple retournait devant l'église ou était dressé l'estrade perpétuelle servant d'autel aux holocaustes. La foule de voyeurs accourait pour assister au spectacle, comme au temps des jeux romains du cirque.

Après avoir traversé pieds nus les rues de la ville, le cortège des condamnés arrivait en procession près de l'Eglise devancé d'une bannière ornée d'une croix et de palmes vertes avec une épée. Le vert symbolisait la miséricorde du Saint-Office et l'épée sa justice !

Suivaient les coffres contenant les restes de ceux qui étaient morts sous la torture ou qui s'étaient suicidés en prison, derrière eux venait le Saint Sacrement entouré de gardes, un cortège de moines la tête enfouie sous de longues capuches noires pointues chantaient les psaumes sur un ton lugubre, tandis que des pénitents fermaient la marche en se flagellant le dos jusqu'au sang.

Les condamnés étaient attachés aux poteaux qui les attendaient, puis c'était la lecture publique des noms, sentences et motifs de condamnations, enfin on vidait les coffres de cadavres et on ajoutait les mannequins de paille des condamnés qui avaient réussi à s'enfuir.

Comment imaginer un instant que la grande reine catholique et son époux trouvent non seulement une satisfaction à assister à ces exécutions, mais s'obstinèrent à considérer Torquemada comme un saint ? Seuls, ceux qui hurlaient leur repentir avaient la chance d'avoir la nuque brisée par le bourreau ou d'être étranglés avec une corde avant que leur poumons étouffent dans la fumée des flammes.

En douze ans Torquemada a condamné à lui seul : neuf mille personnes à être brûlées-vives, trois cent mille furent condamnées à la prison et à la confiscation de leurs biens et plus d'un million d'êtres humains furent bannis !

A noter que beaucoup d'exilés s'embarquèrent pour Marseille, Ferrare ou trouvèrent refuge à Venise, à Florence, ou ce qui est paradoxal, dans les Etats du pape ! D'autres rejoignirent le Portugal ou préférèrent s'exiler dans les Etats voisins musulmans, tout aussi durs, mais beaucoup moins inhumains!

Hélas ,devant cet exode massif, des pays jusqu'alors tolérants se fermèrent aux immigrés : Parme 1488, Milan et la Sicile en 1492, tandis qu'au Portugal en 1497 on baptisa les arrivants avec des seaux d'eau bénite, mais beaucoup préfèrent un second exil vers la Turquie ou Byzance ou d'autres terres moins hostiles.

Il suffisait de voir un jour ce qu'on faisait de ceux qui avaient réclamé le pardon de l'Eglise pour comprendre pourquoi beaucoup ont préféré la mort ou le suicide plutôt que le reniement de leur foi et les humiliations !

Hommes, femmes et enfants devaient défiler sept vendredis de suite à moitié nus dans les rues de leur ville. Arrivés sur le parvis de l'église ils étaient fouettés et obligés de confesser publiquement leurs fautes et de renier leur ancienne religion. Après avoir jeûné sept jours ils étaient enfin admis dans l'église où on leur remettait un cierge allumé dans la main, symbole de la foi retrouvée. Même convertis et absous on leur confisquait leurs biens dont un cinquième revenait à l'Eglise. Malgré leur nouveau nom, il leur était interdit de porter des bijoux (or ou argent) ou de belles étoffes.

Les dominicains et leur grand Maître Torquemada inspiraient le dégoût, le mépris et l'esprit de vengeance. Combien n'auraient pas donné leur vie contre celle du Grand Inquisiteur, qui malgré la haute protection royale ne se déplaçait jamais sans une garde personnelle de cinquante cavaliers et deux cents miliciens armés.

Par contre nombreux étaient les candidats volontaires pour s'enrôler dans sa milice d'Inquisition puisqu'ils recevaient une bonne solde et pouvaient voler en toute impunité beaucoup d'objets de valeurs aux présumés coupables. D'ailleurs faire partie des gardes restait la meilleure assurance de ne pas être soupçonné, ni dénoncé.

En 1485 - l'inquisiteur Pedro Arbuez de Epila fut assassiné en pleine église, l'Eglise le béatifia et le canonisa au XIXè siècle comme martyr ! Les représailles furent terribles et sans pitié.

Son remplaçant le grand inquisiteur de Saragosse Fray Juan de Colvera soumit à la question durant plusieurs jours : quatre des six auteurs de l'assassinat : Juan d'Espérando, Manuel Garcia, Vidal d'Uranso et Juan de Abadia. Si Gaspar de Santa Cruz avaient réussi à s'enfuir, les miliciens de l'inquisition réussirent à mettre la main sur Conception la jeune épouse de l'évadé. Enchaînée, déshabillée, torturée par trois bourreaux une nuit entière, elle rendit l'âme au lever du jour. Son corps fut jeté dans une malle destinée au bûcher.

Les trois autres prisonniers eurent les mains tranchées, seul celui qui les avait dénoncé et à qui l'inquisiteur avait promis une faveur garda provisoirement les siennes. Mais une demie heure plus tard les quatre condamnés furent écartelés chacun par quatre chevaux devant une foule bouleversée par l'atrocité de ces violences.

Les dernières années de Torquemada

De nombreuse villes se soulevèrent et résistèrent en vain aux troupes royales assistées du Saint office, qui imposa partout sa terreur. Seul le nouveau pape Alexandre VI élu en 1492 et plus connu sous le nom de Rodrigo Borgia essaya de modérer les ardeurs de Torquemada en lui envoyant deux conseillers chargés de l'aider dans ses fonctions mais en réalité ils devaient fournir une enquête pour éclairer le pape au sujet des nombreuses plaintes qui affluaient au Saint Siège.

N'est-il pas surprenant que seul un des papes les plus critiqués et qui défraya la chronique pour avoir distribué bien des titres et des faveurs à quatre de ses enfants, fut le seul à pouvoir mettre un terme aux activités de l'effroyable inquisiteur général Torquemada en l'invitant à prendre sa retraite en 1496 prétextant qu'il venait d'avoir 75 ans.

"C'est par un bref daté de Juin 1494 qu'il assure le prieur de l'abbaye de Sainte Croix de sa très grande affection et le remercie pour les grandes peines qu'il a prise à l'exaltation de la foi, il affirme qu'il est plein de sollicitudes pour sa santé qu'il sait fragile et qu'il ne voudrait pas voir détruite prématurément. Le pape l'encourage à prendre sa retraite dans son monastère de frères prêcheurs, afin d'y attendre paisiblement, que Dieu l'appelle auprès de lui..." Le pape termine son bref en assurant le vieil homme qu'il veillera à lui nommer des adjoints dignes de confiance qui le soutiendront dans le déclin de ses années.

Excellent diplomate, sa Sainteté proposait la retraite à celui que même les deux souverains espagnols craignaient et vénéraient (du moins de façade) comme un saint !

On affirme que Torquemada souffrait terriblement de la goutte, cette maladie, souvent héréditaire qui paralyse progressivement les articulations ne pouvait provenir des excès alimentaires. Sachant que le vieil homme mangeait très peu, on peut supposer que le tortionnaire buvait en quantité ces vins d'Espagne très épais, ou des liqueurs dont les moines ont le secret pour oublier les cris perçants et les odeurs insoutenables que l'irascible phénomène s'obligeait à contempler en personne jusqu'à l'extinction complète des flammes !

Eut-il des remords, officiellement jamais ! Il continua ses interminables sermons dont la plupart duraient au moins huit heures ! Il y exhortait ses successeurs dans la poursuite de la grande mission que constitue l'obéissance aveugle aux règles qu'il avait développées dans son TRAITE concernant " la justice divine " et les pénitences à faire appliquer par le tribunal du Saint Office !

Mais il faudra encore attendre deux ans, après la gracieuse invitation du Saint-Père, pour voir notre grand vieillard amer et amaigri rejoindre enfin son monastère où l'attendaient ses frères. Cela ne l'empêchera pas de remanier son traité sur les règles de l'Inquisition pour y insérer seize nouveaux articles destinés à ses nouveaux remplaçants !

Dès que la nouvelle fut connue Alexandre VI nomma immédiatement en tant que Grands Inquisiteurs-remplaçants quatre prélats : l'archevêque de Messine et les trois évêques : de Cordoue, d'Avila et de Mondonedo. Mais surtout il leur donna les mêmes pouvoirs que Torquemada avait reçu, de sorte qu'ils ne furent jamais les subordonnés de leur prédécesseur, mais les nouveaux maîtres d'une Inquisition plus modérée.

Un matin de 1498 la nouvelle que le peuple attendait depuis si longtemps se répandit comme une traînée de poudre dans toute l'Espagne " le terrible monstre " avait enfin rendu son âme... au diable.

Son corps était mort mais ses idées et ses règles vécurent encore trois siècles, jusqu'en 1808 où l'inquisition fut enfin supprimée.


La conquête espagnole du royaume de Grenade


Imaginez une province ayant la superficie de la Provence, soit environ 300 km sur 100 km, tel était au temps des deux rois chrétiens, le dernier bastion de l'empire musulman dans le sud de l'Espagne.

En 1464 l'émir Moulay Hassan monte sur le trône de Grenade, la principale ville de l'enclave musulmane. Les musulmans sous le règne d'Henry IV avaient accepté d'être le vassal de la Castille et lui versait en vertu d'un accord de paix sur dix ans, un confortable Tribut qui venait à expiration en 1478.

Constatant les intrigues et le désordre qui régnaient en Castille lors de la prise du pouvoir d'Isabelle, les musulmans ne renouvelèrent pas leur traité et refusèrent de payer leur impôt. Fernando et Isabelle avaient à ce moment beaucoup de problèmes intérieurs et ils ne purent répondre à cette déclaration de guerre.

En 1481 le jeune et fougueux Ponce de Léon, marquis de Cadix, prit l'initiative d'attaquer et de massacrer la garnison de la petite cité mauresque de Villaluenga.

Un soir de Noël, Moulay Hassan répliqua en prenant par surprise la garnison de Zahara qu'il massacra et emmena tous les habitants en esclavage à Grenade. Le marquis de Cadix surenchérit en prenant d'assaut en février 1482 une des villes les plus riches du royaume la splendide: Alhama. Aussitôt Moulay Hassan avec 50.000 hommes mit le siège devant la ville perdue et la priva d'eau.

Lorsque les Maures virent arriver Fernando avec les troupes du duc de Médina, ils levèrent le siège et se replièrent sur Grenade. Hélas une mauvaise surprise attendait Moulay Hassan à son retour, sa première épouse Aïcha venait d'installer son fils Boabdil sur son trône. Moulay Hassan était contraint de se retirer dans son palais de Malaga au bord de la Méditerranée.

Fort de leur succès les Castillans voulurent pousser plus loin leur conquête, après bien des revers Fernando remporta la victoire et fit prisonnier le jeune Boabdil qui dut se reconnaître vassal des rois d'Espagne. Sa mère Aïcha promit le paiement de 14.000 ducas en or et la libération de 7.000 prisonniers espagnols. Enfin libre Boabdil retourna à Grenade, ou les ANCIENS redonnèrent le royaume de Grenade à Moulay Hassan et à Boabdil la principauté d'Almeria.

En 1485 Fernando assiégea la grande ville fortifiée de RONDA, deuxième ville de la province de Malaga. Après avoir détourné le cours de la rivière qui la fournissait en eau potable, la ville se rendit après quatre jours de combats acharnés. Immédiatement, tous les chrétiens prisonniers furent libérés.

Le 15 décembre 1485 Isabelle mettait au monde sa quatrième fille, Catharina, qui devait devenir la malheureuse Catherine d'Angleterre, qu'Henry VIII essaya d'abord de répudier, puis devant le refus du Pape et l'intransigeance du roi anglais allait provoquer le célèbre schisme anglican et une importante séparation dans la religion catholique.

En 1487 la guerre redouble en intensité. A la tête de 70.000 hommes Fernando décide de joindre à la couronne la deuxième ville du royaume : Malaga. Après quelques petites victoires, une subite épidémie réduisit considérablement les effectifs des assiégeants.

A ce moment critique Fernando demanda à son épouse de faire acte de présence pour remonter le moral de ses troupes. Celle-ci fit son apparition dans une armure scintillante entourée de six cent lanciers, tandis que cent navires chargés de ravitailler les armées bloquèrent le port de Malaga.

Les malagais commencèrent à faire des offres de reddition honorable. Mais Fernando exigea une capitulation sans conditions. Les maures ayant menacé de tuer tous les otages qu'ils détenaient, le roi leur rétorqua que dans ce cas il n'y aurait pas de quartier et que tous les habitants seraient massacrés. Le drapeau blanc fut hissé et les portes furent grandes ouvertes !

Isabelle empêcha le carnage des habitants, mais tous les habitants furent vendus en esclavage ou échangés contre des chrétiens encore prisonniers en Afrique. Pendant que les cloches sonnaient à toutes volées et que dans les vieilles églises on chantait le Te Deum et reprenait les vieilles habitudes qui faisaient partie des réjouissances en affichant dans toute la ville un autodafé qui annonçait la liste de tous les juifs de la ville allaient être brûlés comme hérétiques !

Un contemporain de l'époque, le Père Abarca commenta" ce furent là les fêtes et les illuminations les plus agréables à la piété catholique de nos souverains..."

Après la reddition en plein décembre des villes de Baza, d'Almeria et de Guadix qui protégeaient l'enclave de Grenade, Fernando mit le siège devant Grenade, la capitale mauresque.

Nous sommes au printemps 1491, la ville tiendra jusqu'au 2 janvier 1492, jour où Fernando revêtu d'habits en or pénétra triomphalement dans Grenade pour recevoir les clés de la main de l'émir Boabdil.


Le 30 Mars 1492 une délégation juive se rendit à l'Alhambra de Grenade pour proposer au couple royale l'énorme somme de 30.000 ducats en or en échange uniquement de " la permission de pouvoir survivre dans leurs ghettos, " quartier dont ils s'engageaient à ne pas sortir.

Isabelle et le cupide Fernando auraient bien accepté, si l'irruption soudaine de Torquemada ne vint comparer leurs Altesses royales à Judas Iscariote et à des traîtres, qui acceptaient de revendre Jésus pour la somme de 30.000 ducas au lieu des 30 deniers !...

Après réflexion Fernando estima qu'il pourrait sortir encore plus d'argent en exilant les juifs et en confisquant leurs biens. Le 31 mars 1492 Fernando signa l'Edit qui indiquait que tous les juifs: hommes, femmes et enfants, devraient avoir quitté le royaume au plus tard le 1er Juillet 1492 en abandonnant tous leurs biens. Une tolérance serait accordée pour tous ceux qui se feraient baptiser. L'édit royal précisait encore que tous récidivistes ou chrétiens qui leur porteraient assistance seraient considérés comme hérétiques et condamnés à être brûlés vifs.

Bientôt on vit de superbes demeures ayant appartenues à de très vieilles familles juives, être cédées pour des sommes symboliques ridicules. Des peintures de valeur et des bijoux de famille, n'atteignirent pas 10% de leur valeur courante. Par désespoir bien des couples se suicidèrent.

Pour les autres commença l'exode massif avec d'interminables files de tous âges avec leurs coffres, leurs baluchons, leurs petits enfants, les vieillards malades, les femmes enceintes dont nombres d'entre elles accouchèrent prématurément derrière un arbre loin de tout point d'eau...

Certains s'étaient fixés comme terre d'asile : la France, d'autres le Portugal (qui les refoula peu après) d'autres un port mer qui leur permettrait de s'embarquer pour l'Italie, la Turquie ou l'ancienne Byzance qui fut ravie de voir venir une élite de médecins, d'ouvriers d'art dans les étoffes et dans les livres.

Mais pour ceux qui n'eurent pas assez d'argent pour s'embarquer sur de grands bateaux et qui achetèrent à prix d'or de frêles coquilles de noix servant à la pêche de proximité, furent blessés, dépouillés, les jeunes filles enlevées et violées par des pirates qui croisaient dans les parages. L'éternelle histoire des boat-people se renouvelait dans l'indifférence des chrétiens espagnols. Pire beaucoup furent éventrés devant leur famille à la recherche de quelques diamants ou de petites pièces d'or que quelques uns auraient avalés.

Pitoyable spectacle dont les deux rois très catholiques avides de richesses, portèrent seuls l'effroyable responsabilité.

Quant à ceux qui acceptèrent à contre-coeur : le baptême ils furent également dépouillés de leurs biens et leurs enfants pendant de nombreuses générations furent exclus des grandes professions.

Même si les rois avaient promis par écrit dans les traités réglant la reddition de Grenade, qu'aucun musulman ne serait poursuivi pour sa foi, à la mort du cardinal de Mendoza la reine nomma son nouveau confesseur, le célèbre Ximénès De Cisneros à la charge d'Archevêque de Tolède. Alexandre VI confirma la nomination du nouveau prélat qui se montra soudainement le très zélé serviteur du couple royal.

Il donna l'ordre de réquisitionner tous les enfants musulmans de Grenade pour mieux les instruire sur le christianisme. La population musulmane encercla la maison de l'archevêque qui résigné s'attendait déjà à subir le martyr. L'intervention des troupes royales libéra le prélat. Cisneros plaida qu'en se révoltant les maures avaient eux-mêmes rompu le pacte conclu lors de leur défaite. Rien ne s'opposait plus à exiger maintenant leur conversion.

Sous peine de mort : 50 000 maures se convertirent et prirent le nom de moriscos. D'autres organisèrent la révolte et furent sauvagement décimés lors des combats de 1499 et de 1500. Définitivement vaincus les adeptes du Coran rejoignirent l'Afrique du Nord où l'irascible Cisneros les poursuivit jusqu'à Oran.

L'Espagne était désormais unifiée et " purifiée " des hérétiques, sorciers, mahométans, juifs, voleurs et bandits de grands chemins, mais à une période où la peste faisait sans cesse des ravages beaucoup regrettèrent la perte de nombreux médecins, d'excellents chirurgiens puisqu'eux seuls avaient le droit de disséquer les morts, (ce qui était interdit aux chrétiens à cause de la résurrection des corps - partie intégrante du credo) et par ce moyen les médecins juifs avaient acquis une connaissance anatomique irremplaçable. Enfin l'Espagne perdait ses plus importants contribuables puisque somme toutes ils payaient beaucoup plus d'impôts que tous les autres.

Heureusement une information de premier plan venait d'arriver :
"la découverte d'un immense nouveau monde, riche en or pur..."